La terre du lait et de l’argent: Qatar se tourne vers les fermes pour lutter contre le boycott des pays du Golfe.

October 20, 2017

La détermination de l’émirat au sujet de la sécurité alimentaire symbolise sa détermination à changer tout les efforts déployés pour l’isoler en “une opportunité au milieu d’une catastrophe”.
Un troupeau de vaches importées à la ferme Baladna. Qatar vise à atteindre une auto-suffisante au niveau de ses besoins en lait.

Photographie: AFP/Getty Images.
Patrick Wintour – Doha
Vendredi 20 octobre 2017 11h30 BST

John Dore est en route vers le vaste et luxueux aéroport Hamad International de Doha pour accueillir le vol de 20h en provenance de Los Angeles via Liège en Belgique.

Portant un chapeau de paille avec un petit badge métallique en forme de trèfle en hommage à ses origines irlandaises, il attend ses visiteurs qui ne sont ni des membres de la famille, ni des amis. Ils ne sont pas non plus humains, mais plutôt un troupeau de 120 vaches.

John Dore avec un troupeau de vaches.

Un agriculteur de 58 ans est peu susceptible d’être une figure essentielle dans un conflit virulent entre les monarchies du Golfe, cependant ce Directeur Général de la vaste ferme Baladna située dans le désert à 60 kilomètres au nord de Doha, joue un rôle essentiel et vital dans la lutte de Qatar pour survivre au niveau politique.
La sécurité alimentaire est devenue un objectif primordial pour un pays confronté à un boycott terrestre, maritime et aérien imposé en juin par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et le Bahreïn. Ceci fait partie d’un conflit géopolitique long et étendu qui englobe le financement du terrorisme, l’organisation de la Coupe du Monde, le rôle des Frères Musulmans, l’Iran et même l’avenir du journalisme au Moyen-Orient.
Que le Qatar résiste au boycott est un test pour découvrir si l’économie en plein essor de cet état minuscule pourrait survivre, non seulement au blocus matériel, mais aussi au désinvestissement financier de ses voisins saoudiens et émiratis. Si l’économie tenait le coup et restait à flot, les chances de maintenir la politique étrangère de Doha indépendante et de forcer les saoudiens à une retraite lente, quoique déguisée, serait meilleures.
Ramez Al Khayyat, vice président de la compagnie Qatarienne Baladna, dans sa ferme au nord de Doha.
Photographie: Alamy Stock photo
Comme l’atteste l’horizon de Doha, Qatar n’est pas un pays qui accepte de faire les choses à moitié et la grande société mère de la ferme Baladna, Power International Holding, injecte de l’argent pour relever ce défi.
Dépendante auparavant de l’Arabie Saoudite pour la majeure partie de son approvisionnement en lait, Qatar devait compter sur la générosité de ses autres alliés régionaux, en particulier la Turquie et l’Iran.
Dore importe des vaches des Etats-Unis aussi vite que possible. Il prévoit d’augmenter son troupeau de 4000 vaches, ce qui pourrait répondre aux besoins de 30 à 40% du marché du lait de Qatar, et de 10000 autres vaches d’ici l’été prochain- ce qui serait presque suffisant pour couvrir les besoins en lait de toute la population qui s’élève à 2.3 millions.
Des milliers de vaches sont transférées, chacune à son propre enclos dans des hangars géants, où des soudeurs travaillent encore sur les grilles. Les hangars sont rafraîchis par des ventilateurs géants et des jets d’eau pour atténuer la chaleur étouffante et l’humidité.

Les vaches sont nourries au fourrage sec et sont traites mécaniquement grâce à des machines à rotation de pointe, capables de travailler 24 heures sur 24. Une tribune permet aux familles Qataris curieuses d’observer le processus de traite. Ailleurs sur le vaste site qui s’étend sur 70 hectares (173 acres), un bon nombre d’excavatrices cherchent à aplatir la terre afin de construire plus de hangars pour le bétail.
Tout le processus ressemble davantage à une chaîne de production automobile qu’à une peinture de John Constable, mais l’élevage industriel qui fut conçue dans les régions arides des Etats-Unis, se répand rapidement à travers le Moyen-Orient.
“le boycott a servi Qatar d’une certaine façon”, a déclaré Dore. “Ce fut une sonnette d’alarme pour tout le pays. Cet événement leur a permis de prendre conscience de toutes les possibilités existantes, et non seulement au niveau de l’agriculture. Près de 80% de la nourriture du pays provenait de ses voisins. Il faut parfois une guerre ou une menace de guerre pour qu’un pays examine sa situation quant à la sécurité alimentaire. Regardez la politique agricole commune en Europe.
Ceux qui se sont tiré une balle dans le pied sont les Saoudiens. Si le blocus serait levé, le sentiment pro-Qatar et la fierté nationaliste pousseraient les gens à acheter du lait produit à Qatar et non en Arabie Saoudite. Je pense que tout l’environnement changera complètement. Notre défi consiste à obtenir assez de lait. Si nous pouvons produire une quantité suffisante de lait, la population à Qatar l’achètera.”

Dore annonce que la production de sa ferme dépassera celle de ses homologues saoudiens, avec un ratio de main-d’œuvre d’une personne pour 75 vaches, contre une personne pour 45. Ses vaches se tiennent aussi sur des matelas en caoutchouc et des racloirs automatisés enlèvent les déchets. “nous allons produire assez de fumier pour que la verdure se répand dans tout le pays”, a-t-il déclaré.
L’autosuffisance alimentaire n’est qu’un test pour découvrir si Qatar pourrait résister au blocus et peut–être en sortir plus fort, prêt à recevoir des dizaines de milliers de visiteurs pour la Coupe du monde en 2022.
L’économie du pays a reçu le premier coup au niveau des vastes réserves de gaz et des réserves financières. En effet, les premiers mois furent marqués par un sentiment de panique et des sorties importantes de capitaux. Cependant, la banque central du Qatar et d’autres fonds publics ont injecté environ 38.5 milliards de dollars des réserves du pays qui s’élèvent à 340 milliards de dollars dans l’économie pour alléger la pression sur le taux de change et atténuer l’impact du désinvestissement, selon un rapport de Moody.
Un autre signe de pression est apparu à la Bourse de Doha qui a enregistrée une courbe descendante, atteignant en septembre son point le plus bas en cinq ans, malgré une petite reprise récente. La croissance du PIB a ralenti à 0.6% au deuxième trimestre contre 2.5% au premier, ce qui laisse à présager la plus faible croissance globale depuis la crise financière de 2008 vu qu’elle ne dépassera pas les 2% pour cette année. Malgré un horizon parsemé de grues, le secteur de l’immobilier a enregistré la plus forte baisse en cinq ans, avec une chute des prix de 4.7% au cours de l’année dernière.
Une partie de cette récession a précédé le boycott, mais Yousuf Mohamed Al-Jaida, responsable de l’Autorité Financière de Qatar (Qatar Financial Authority) affirme que toute la région fut endommagée. “les pays du CCG étaient l’endroit le plus sûre sur la planète. Il semble que cette réputation a changé aux yeux du monde entier. Beaucoup d’entreprises furent obliges à rétablir leur registres des risques.
“Le secteur financier du Qatar s’est stabilisé, et de nouveaux ports, notamment à Oman, furent très utiles en matière de logistique, en se substituant à Jebel Ali à Dubai… et un ralentissement de la croissance était sain à ce stade, qu’il y ait crise ou pas.
“Au cours des 15 dernières années, nous avons enregistré la croissance économique la plus rapide de la planète. On parle d’une économie de 6 milliards de dollars en 2000 qui a passé à 200 milliards en 2015. Mais rien de fondamental n’a change. Nous n’avons pas manqué jusqu’à présent aucune livraison d’énergie. Les pays responsables du blocus ont tenté de pousser les entreprises à choisir entre eux et Qatar, mais ils ont fait marche arrière.”

Ali Shareef Al-Emadi, ministre des Finances de Qatar depuis 2003 et probablement le politicien le plus important dans le contrôle de la résistance au blocus, explique: “ce n’est pas un secret que nous avons injecté de la liquidité dans le système économique. C’était une mesure de précaution, mais on pourrait dire que le marché est capable d’absorber toutes ces mauvaises nouvelles. En ce qui concerne notre liquidité et notre monnaie, le marché est très stabilisé comme nous le voyons.
Si vous examinez le deuxième mois du blocus, vous remarquerez que la balance commerciale- les importations et les exportations- était presque aux niveaux enregistrés avant la crise. Nous avons enregistré une baisse des importations de 40% pour un mois, mais nous avons rapidement ajusté la situation. Tout le pays a changé en moins d’un mois et au lieu de compter sur un ensemble de pays, nous avons eu accès à plus de 80 pays. L’inflation alimentaire est en baisse. Donc, malgré les souffrances causées au niveau des relations personnelles, des familles et de la constitution de Conseil de Coopération du Golfe, beaucoup d’opportunités se sont révélées pour notre économie. Regardez le tourisme, le secteur de la santé et la sécurité alimentaire.”
Emadi dit que l’économie saura résister parce qu’elle a devancé les autres pays du Golfe en s’ouvrant aux investissements étrangers.
“Qatar a franchi les 20 étapes les plus difficiles il y a 20 ans. On a investi dans les industries du gaz liquide, du pétrole et du gaz et les services publics avec des sociétés internationales. Exxon Mobil est au Qatar depuis 20 ans et non depuis deux ans. A l’époque, il était si difficile de pousser les entreprises étrangères à investir dans nos ressources naturelles, même au niveau culturel, les convaincre était difficile. Nos investissements les plus importants furent dans le domaine de l’éducation.”
Le boycott pousse désormais Brand Qatar à s’ouvrir davantage sur le monde extérieur, en œuvrant à la libéralisation de ses lois sur la résidence permanente, en supprimant le visa pour 80 pays et en réduisant les loyers de moitié pour de nombreuses entreprises.
Le plan suivant consiste à s’imposer une plateforme d’affaires pour les sociétés qui souhaitent avoir des échanges commerciaux avec le Koweït, l’Iran, le Pakistan et Oman. Et Jaida de conclure: “ c’est une nouvelle ère. Nous sommes déterminés à changer la catastrophe en opportunité.”

Cet article a été publié la première fois sur le site suivant : https://amp.theguardian.com/world/2017/oct/20/land-of-milk-and-money-qatar-looks-to-farms-to-beat-the-gulf-boycott
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